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Nous reproduisons ci-dessous des extraits de la « Thèse sur la tactique » adoptée au IIIe Congrès de l’Internationale communiste, qui s’était réuni à Moscou en juin-juillet 1921. Ces extraits sont repris de l’édition française de la Librairie du Travail de 1934, avec quelques changements tenant compte des éditions en allemand et en anglais.

La conquête de l’influence prépondérante sur la plus grande partie de la classe ouvrière, l’introduction dans le combat des fractions déterminantes de cette classe, voilà à l’heure actuelle le problème le plus important de l’Internationale Communiste.

Car nous avons beau être en présence d’une situation économique et politique objectivement révolutionnaire dans laquelle la crise révolutionnaire la plus aiguë peut éclater absolument à l’improviste (à la suite d’une grande grève, d’une révolte coloniale, d’une nouvelle guerre ou même d’une grande crise parlementaire, etc.), le plus grand nombre des ouvriers n’est pas encore sous l’influence du communisme, surtout dans les pays où la puissance particulièrement forte du capital financier a donné naissance à de vastes couches d’ouvriers corrompus par l’impérialisme (par exemple en Angleterre et aux Etats-Unis), et où la véritable propagande révolutionnaire parmi les masses vient seulement de commencer.

Dès le premier jour de sa fondation, l’Internationale Communiste s’est donnée pour but, clairement et sans équivoque, non pas de former de petites sectes communistes cherchant à exercer leur influence sur les masses ouvrières uniquement par l’agitation et la propagande, mais de prendre part à la lutte des masses ouvrières, de guider cette lutte dans le sens communiste et de constituer dans le processus du combat de grands partis communistes révolutionnaires de masse éprouvés.

Déjà au cours de sa première année d’existence, l’Internationale Communiste a répudié les tendances sectaires en prescrivant aux partis affiliés, si petits fussent-ils, de collaborer aux syndicats, de participer à vaincre leur bureaucratie réactionnaire de l’intérieur même des syndicats et de les transformer en organisations révolutionnaires de masse du prolétariat, en instruments de son combat. Dès sa première année d’existence, l’Internationale Communiste a prescrit aux Partis Communistes de ne pas se renfermer dans des cercles de propagande, mais de se servir de toutes les possibilités que la constitution de l’État bourgeois est obligée de leur laisser ouvertes pour l’éducation et l’organisation du prolétariat […], pour en faire des armes, des tribunes, des places d’armes du communisme. […]

Les expériences de ces deux ans de lutte des Partis Communistes ont confirmé en tous points la justesse du point de vue de l’Internationale Communiste. Celle-ci, par sa politique, a amené les ouvriers révolutionnaires dans bien des États à se séparer, non seulement des réformistes déclarés, mais aussi des centristes. Dès lors que les centristes ont formé une Internationale 2 ½ qui s’allie publiquement aux Scheidemann, aux Jouhaux et aux Henderson sur le terrain de l’Internationale Syndicale d’Amsterdam, le champ de bataille est devenu beaucoup plus clair pour les masses prolétariennes, ce qui facilitera les combats à venir. […]

Les Partis communistes ne peuvent se développer que dans la lutte. Même les plus petits des partis communistes ne doivent pas se borner à la simple propagande et à l’agitation. Ils doivent constituer, dans toutes les organisations de masses du prolétariat, l’avant-garde qui montre aux masses retardataires, hésitantes, en formulant pour elles des buts concrets de combat, en les incitant à lutter pour réclamer leurs besoins vitaux, comment il faut mener la bataille et qui par là leur révèle la traîtrise de tous les partis non communistes. C’est seulement à condition de savoir se mettre à la tête du prolétariat dans tous ses combats, et de promouvoir ces combats, que les communistes peuvent gagner effectivement les grandes masses prolétariennes à la lutte pour la dictature.

Toute l’agitation et la propagande, toute l’action des Partis Communistes doivent être pénétrées de ce sentiment que, sur le terrain du capitalisme, aucune amélioration durable de la situation de la masse du prolétariat n’est possible ; que seul le renversement de la bourgeoisie et la destruction de l’État capitaliste permettront de travailler à améliorer la situation de la classe ouvrière et à restaurer l’économie nationale ruinée par le capitalisme. Mais ce sentiment ne doit pas nous faire renoncer à combattre pour les revendications vitales actuelles et immédiates du prolétariat, en attendant qu’il soit en état de les conquérir par sa dictature. La social-démocratie, qui maintenant, dans la période d’effondrement et de désintégration du capitalisme, au moment où le capitalisme n’est plus en état d’assurer aux ouvriers même une existence d’esclaves rassasiés, présente le vieux programme social-démocrate des réformes pacifiques, réformes qui doivent être réalisées par la voie pacifique sur le terrain et dans le cadre du capitalisme en faillite, cette social-démocratie trompe sciemment les masses ouvrières. Non seulement le capitalisme, pendant la période de sa dislocation, n’est pas capable d’assurer aux ouvriers des conditions d’existence quelque peu humaines, mais encore les social-démocrates, les réformistes de tous les pays prouvent chaque jour qu’ils n’ont pas la moindre intention de mener le moindre combat pour la plus modeste des revendications contenues dans leur propre programme.

Revendiquer la socialisation ou la nationalisation des plus importantes branches d’industrie, comme le font les partis centristes, c’est encore tromper les masses populaires. Les centristes n’ont pas seulement induit les masses en erreur en cherchant à les persuader que la socialisation peut arracher des mains du capital les principales branches d’industrie sans que la bourgeoisie soit vaincue, ils cherchent encore à détourner les ouvriers de la lutte vitale réelle pour leurs besoins les plus immédiats, en leur faisant espérer une mainmise progressive sur les diverses industries les unes après les autres, après quoi commencera la construction « planifiée » de l’édifice économique. Ils reviennent ainsi au programme minimum de la social-démocratie, c’est-à-dire à la réforme du capitalisme, qui est aujourd’hui une véritable duperie contre-révolutionnaire.

Si dans ce programme de nationalisation, par exemple de l’industrie du charbon, l’idée lassalienne joue encore un rôle parmi certains centristes pour fixer toutes les énergies du prolétariat sur une revendication unique, pour en faire un levier d’action révolutionnaire conduisant par son développement à la lutte pour le pouvoir, dans ce cas nous avons affaire à une rêverie de songe-creux : la classe ouvrière souffre aujourd’hui dans tous les États capitalistes de fléaux si nombreux et si effroyables qu’il est impossible de combattre toutes ces charges écrasantes et ces coups qui s’abattent en poursuivant un objet tout à fait imaginaire et doctrinaire. Il faut au contraire prendre chaque besoin des masses comme point de départ de luttes révolutionnaires qui, dans leur ensemble seulement, pourront constituer le courant puissant de la révolution sociale. Les Partis communistes ne mettent en avant pour ce combat aucun programme minimum visant à fortifier et à améliorer l’édifice vacillant du capitalisme. La ruine de cet édifice reste leur but directeur, leur tâche actuelle. Mais pour remplir cette tâche, les Partis Communistes doivent émettre des revendications dont la réalisation constitue une nécessité immédiate et urgente pour la classe ouvrière et ils doivent défendre ces revendications dans la lutte des masses, sans s’inquiéter de savoir si elles sont compatibles ou non avec l’économie pour le profit de la classe capitaliste.

Les Partis Communistes doivent prendre en considération non pas les capacités d’existence et de concurrence de l’industrie capitaliste, non pas la force de résistance des finances capitalistes, mais l’étendue de la misère que le prolétariat ne peut pas et ne doit pas supporter. Si ces revendications répondent aux besoins vitaux des larges masses prolétariennes, si ces masses sont pénétrées du sentiment que sans la réalisation de ces revendications leur existence est impossible, alors la lutte pour ces revendications deviendra le point de départ de la lutte pour le pouvoir. À la place du programme minimum des réformistes et des centristes, l’Internationale Communiste met la lutte pour les besoins concrets du prolétariat, pour un système de revendications qui dans leur ensemble démolissent la puissance de la bourgeoisie, organisent le prolétariat et constituent les étapes de la lutte pour la dictature prolétarienne et dont chacune en particulier donne son expression à un besoin des larges masses, même si ces masses ne se placent pas encore consciemment sur le terrain de la dictature du prolétariat.

Dans la mesure où la lutte pour ces revendications embrasse et mobilise des masses de plus en plus grandes, dans la mesure où cette lutte oppose les besoins vitaux des masses aux besoins vitaux de la société capitaliste, la classe ouvrière prendra conscience de cette vérité que si elle veut vivre, le capitalisme doit mourir. Cette constatation fera naître en elle la volonté de combattre pour la dictature [prolétarienne]. C’est la tâche des Partis Communistes d’élargir les luttes qui se développent au nom de ces revendications concrètes, de les approfondir et de les relier entre elles. Toute action partielle entreprise par les masses ouvrières pour des revendications partielles, toute grève économique sérieuse, provoque immédiatement la mobilisation de toute la bourgeoisie en tant que classe pour protéger ceux des entrepreneurs qui sont menacés, et pour rendre impossible toute victoire, ne fût-ce que partielle du prolétariat (Secours technique d’urgence [pour le cassage de grève en Allemagne], briseurs de grèves bourgeois pendant la grève des cheminots anglais, fascistes). La bourgeoisie mobilise également tout le mécanisme de l’État pour combattre les ouvriers (militarisation des ouvriers en France et en Pologne, lois d’exception pendant la grève des mineurs en Angleterre). Les ouvriers qui luttent pour leurs revendications partielles sont entraînés automatiquement à combattre toute la bourgeoisie et son appareil d’État. Dans la mesure où les luttes pour des revendications partielles, où les luttes partielles des divers groupes d’ouvriers grandissent en une lutte générale de la classe ouvrière contre le capitalisme, le Parti Communiste a le devoir de proposer des mots d’ordre plus élevés et plus généraux, jusques et y compris celui du renversement direct de l’adversaire.